
« Au-delà des rivages d’Ithaque, les caprices des dieux dictent les guerres des hommes. Mais sur l’île, ce sont les choix des femmes abandonnées – et de leurs déesses – qui changeront le cours du monde.
Le roi Ulysse est parti depuis de nombreuses années en guerre contre Troie, emmenant tous les hommes en âge de combattre de l’île d’Ithaque. Pénélope, sa femme, l’attend avec patience et dirige le royaume. Mais lorsque des rumeurs circulent sur la mort de son mari, les prétendants commencent à frapper à sa porte.
Or, aucun homme n’est assez puissant pour revendiquer le trône vide d’Ulysse. Si Pénélope choisit l’un d’entre eux, Ithaque plongera dans une guerre civile sanglante. Seule la ruse et son réseau d’espionnes lui permettront de maintenir l’équilibre délicat du pouvoir nécessaire à la survie du royaume.
À Ithaque, tout le monde surveille tout le monde et il n’y a pas un coin du palais où l’intrigue ne règne pas en maître.
Le plus grand pouvoir des femmes est celui dont elles s’emparent en secret.«
Claire North est une autrice célèbre, qui a déjà de nombreux romans à son actif, dont « La Soudaine apparition de Hope Arden » et « Les Quinze premières vies d’Harry August ». Ne l’ayant encore jamais lue, hésitant toujours mais étant très friande des réécritures de contes et légendes, j’ai accepté avec plaisir la proposition d’envoi de la maison d’édition pour la version française, Hauteville – que je remercie chaudement.
L’objet livre est une splendeur. Un format rigide, une couverture magnifique, sensation toilée et dorures, illustration sur tranche en rameaux d’olivier… le bonheur du lecteur! Mais passons au contenu. Celui-ci est riche en qualités, et s’il n’a pas réussi à me séduire, c’est ici clairement un cas de « it’s not you, it’s me ». Du type narratif choisi par l’autrice, manié pourtant avec brio, découle une particularité responsable de mon incapacité à apprécier le roman… j’en reparlerai plus tard.
Le roman a clairement une mission : raconter Ulysse du point de vue de Pénélope, avec un éclairage uniquement féminin. Un roman très féministe, donc, mais sans exagération ; point n’est nécessaire d’inventer, l’Histoire, les contes, les légendes n’offrent que très rarement le beau rôle aux femmes, et encore moins la parole. La narratrice est Héra, déesse des mères et des épouses – mais qui était nous dit-elle, avant son mariage avec Zeus, la déesse des femmes… Héra est une déesse, mais elle est avant tout femme et ne peut guère agir pour aider les humains dont elle suit les vies, du haut de sa divinité. Son divin époux ne l’y autorise pas.
La narration choisie par l’autrice est ainsi une narration omnisciente ; Héra sait tout, voit tout. Le récit est au présent, les scènes qui se succèdent sous le double regard de la déesse et du lecteur sont généreusement commentées par cette dernière. Héra n’est pas avare de son avis, un avis de divinité, supérieur, condescendant et distant. Pourtant elle s’intéresse aux femmes, réservant l’acidité de sa langue aux hommes et exposant les profondeurs cachées des reines, paysannes, servantes et esclaves.
Le style est à la fois parfois très poétique et parfois très commun, presque cru ; réaliste aussi, souligné par une narration au présent. Les personnages du récit sont ramenés à leur condition humaine et exposés dans un quotidien souvent pauvre et crasseux. Les hommes, en particulier les soupirants de Pénélope, la reine peut-être veuve, en prennent pour leur grade ! Beuveries, festins, vantardises, aucune de leur faiblesse n’est ignorée. Le pauvre Télémaque, fils adolescent d’Ulysse, fait carrément pitié…
L’autrice me paraît être (je ne suis pas spécialiste) très bien informée. Si certaines libertés sont parfois prises, la trame de l’histoire est fidèle au mythe. Le roman est très maîtrisé, avec une teinte féministe naturelle, découlant du choix de la narratrice et du choix du personnage central, Pénélope, reine d’Ithaque.
Malgré cela, si j’ai d’abord apprécié ma lecture, elle n’est pas exempte de défauts à mon goût et j’ai décidé de l’arrêter au tiers, n’étant pas avide de découvrir la suite de l’histoire et lassée des points qui me rebutaient.
Tout d’abord, j’ai trouvé le roman peu rythmé, assez décousu ; l’histoire avance mais lentement, le regard d’Héra tourne, revient, repart, c’est lent, beaucoup de personnages qu’on a du mal à classer par ordre d’intérêt ou d’importance. Ensuite, si le ton moderne, souvent irrévérencieux et condescendant est réussi, je l’ai trouvé assez indigeste à la longue. Ce choix stylistique aurait à mon avis mieux servi un texte court, une novella, qu’un long roman. Troisième écueil, le choix de la narratrice. Héra, déesse, est naturellement omnisciente et tenue à distance des humains, dont elle ne partage ni les faiblesses ni la mortalité. De ce fait, le lecteur est lui aussi tenu à distance des nombreux personnages qui virevoltent sous ses yeux. Impossible de s’attacher à aucun d’entre eux, malgré les qualités évocatrices du récit qui nous emporte dans un passé plein de réalisme. Pour un lecteur qui juge, comme moi, que le must de l’écriture d’un roman est le « show don’t tell » (montrez, ne dites pas), une telle narration omnisciente n’est pas enthousiasmante. L’histoire nous montre les personnages dans leur quotidien, quelques dialogues y sont associés, mais tout ce que doit savoir le lecteur d’après Héra nous est expliqué par celle-ci – Déesse qui voit tout et sait tout. Peu d’actions ou de dialogues révélateurs des personnalités qui ne soient pas commentés par la narratrice, avec en résultat un récit plutôt aride.
Pour finir, en parcourant les avis sur la version originale, j’ai lu plusieurs avis de chroniqueurs qui s’avouaient déçus de ce choix narratif – déception que je partage. Le récit, centré sur Pénélope, n’en fait pas pour autant le personnage principal. Ce choix nous tient à distance de la reine d’Ithaque, c’est Héra qui tient la vedette et dépouille toute l’histoire d’humanité et de chaleur humainen en nous imposant ses pensées et ressentis de divinité…
En conclusion un roman plein de personnalité, servi par une écriture très maîtrisée et un fond très riche, une lecture intéressante mais aussi, pour moi, un récit froid qui ne m’a ni emportée ni touchée. Je n’ai jamais pu m’attacher aux personnages, aucun n’a jamais pris vie à mes yeux.
Pour ce type de réécriture il m’est difficile de ne pas faire de comparaison avec d’autres autrices comme Madeline Miller (« Le chant d’Achille », « Circé ») ou Juliet Marillier (« Soeur des cygnes » en VF), des autrices que j’adore. Claire North joue sur un autre registre, certes brillant, mais qui ne laisse pas beaucoup de place à l’empathie et la chaleur humaine ; votre intérêt pour « Pénélope, reine d’Ithaque », dépendra ainsi beaucoup de vos attentes en matière de réécriture de contes et légendes.
Publié chez Éditions Hauteville, le 12 avril 2023
512 pages, édition spéciale reliée