La réécriture : l’exemple du roman « Vauvert »

En pleine révision de Vauvert, bien installée au jardin pendant les vacances dans le jardin de la maison familiale du Périgord !

Vauvert, roman contemporain fantastique, est le premier roman que j’ai écrit parmi mes histoires publiées… du moins pour sa première version.
J’avais déjà écrit plusieurs histoires, dont je n’ai rien fait ensuite, quand m’est venu le premier fil de l’histoire de Mélissandre. Curieusement je me rappelle très bien du moment et des circonstances : j’étais en vacances (enfin, plus vraisemblablement en week-end prolongé grâce à un jour férié) dans la maison familiale dans le Périgord, et je prenais un bain. J’ai très précisément en mémoire l’état d’esprit dans lequel j’étais, particulièrement détendue, un verre à la main (oups), quand l’idée m’est venue. Quelle idée ? enfin, vous savez bien, celle qui est dévoilée dans le premier chapitre ! ^-^

Une fois attelée à l’écriture de cette histoire, j’ai longuement travaillé sur l’organisation de l’école de Vauvert, les plannings, les plans des dépendances, les sections – je voulais que tout soit concrètement possible, à défaut d’être parfaitement réaliste. C’était la première fois que j’écrivais un roman aussi long, avec de nombreux personnages, et j’en avais été très contente (ça date d’environ 20 ans, tout ça !). À l’époque il n’était pas question d’auto-édition, je croyais encore dur comme fer aux vertus de l’édition classique et j’espérais qu’un jour, peut-être, mes romans seraient publiés par une maison d’édition. J’ai donc fait imprimer et relier le manuscrit au format A4 reliure spirale, en plusieurs exemplaires, en suivant toutes les consignes, comme la double interligne (pour d’éventuelles, si combien improbables, corrections) avant de l’envoyer à plusieurs maisons d’édition susceptibles selon moi d’être intéressées. Je n’avais reçu ensuite que des refus, mais dans le lot un refus argumenté (des Editions du Rocher il me semble) ce qui vaut toujours de l’or malgré la déception ! L’avis me pointait les qualités, les défauts, un avis frustre mais tout de même un peu encourageant.

Entretemps, j’avais commencé la série des Enfants de l’Hyphale d’or, et ce sont les deux premiers tomes de cette quadralogie (aujourd’hui entièrement publiée) qui ont été auto-édités en premier. Puis vint un jour où je repris enfin l’histoire de Vauvert, qui avait gardé sa place dans mon cœur d’écrivaine. Je décidai de la retaper entièrement à l’occasion du premier concours du premier roman jeunesse de Gallimard (celui qui nous a fait découvrir l’extrordinaire Christelle Dabos et sa série de la Passe-Miroir).

Quand je dis retaper le manuscrit… c’est bien dans les deux sens du terme, le fichier ayant disparu dans les oubliettes d’un ordi HS ! Oui, parce qu’à l’époque je n’étais pas très au point dans mon usage d’un ordinateur (oh, allez, à vous je peux bien vous le dire, c’est ma fille Prudence qui, à l’âge de 8 ans, m’a initiée à la magie du clic droit ^-^). Le plus drôle, c’est que je pensais sauvegarder comme il faut mon fichier en sauvegardant l’icône sur le bureau. Je disais tout de même à mon mari : « C’est bizarre quand même, le nombre d’octets n’augmente jamais » ; et il me répondait à chaque fois : « C’est normal, un fichier texte ça ne pèse presque rien, voyons ! ».
Bref, j’ai retroussé mes manches, pris un de mes manuscrits papier, revenu tout penaud de sa visite chez l’éditeur, et j’ai tout réécrit. J’ai changé beaucoup de choses ; l’histoire que les lecteurs ont pu découvrir avec la première édition de Vauvert est très différente de celle écrite en tout premier lieu. Les lieux, les personnages, les grandes lignes ont perduré, mais la forme, le rythme, l’histoire, les nuances, tout est très différent. Et mieux, beaucoup mieux ! Il y avait beaucoup de désherbage et remodelage à faire…
Vous savez ce conseil qu’on donne aux écrivains en herbe, celui qui est si difficile à suivre, de ranger son manuscrit dans un tiroir et de ne le ressortir que des mois, voire des années, plus tard ? Eh bien il est excellent ce conseil ! ^-^

Ce roman, publié en 2014 dans une édition désormais épuisée, a beaucoup plu. Autant aux enfants, à qui il était destiné, qu’aux adultes nostalgiques de leur enfance, tout ceux d’entre nous qui aiment les histoires de pensionnats et de mystères, où les héros, des enfants ou adolescents, ont la part belle, loin de leurs parents devenus superflus. Vauvert était ainsi en première ligne pour être réédité et, cet été, après une grosse semaine de vacances, je me suis soudain sentie l’énergie pour lui accorder toute mon attention.
Le premier fil a été la réalisation de la couverture, qui a été faite en très peu de temps et exactement, au détail près, comme je le souhaitais, par Catherine Highton ! Quand je l’ai vu achevée, je me suis dit, c’est magique, Vauvert revit ! J’ai eu la chance que mes aides de camp côté illustration, Amandine Labarre au crayon et ma fille Iris à la colorisation, aient répondu présentes et accepté de mettre le turbo : une fois la demande de devis envoyée à l’imprimeur et la date d’envoi des fichiers avancée, il fallait que tout aille vite vite !

Aperçu de la couverture « à plat », avant que je ne m’occupe de la mise en page texte !

Que me restait-il à faire alors, à part réfléchir aux illustrations, aux goodies, à la maquette de la couverture ? Eh bien à reprendre le texte. Et si là je n’ai pas eu à le réécrire complètement, grâce au ciel, les relectures n’ont pas uniquement servi à traquer la dernière coquille…

Je savais déjà que, le jour venu de la réédition de Vauvert, il me faudrait le remettre un peu au goût du jour. Roman fantastique contemporain, il s’encre dans le réel et certaines choses, comme la technologie du quotidien, avaient forcément évolué en une dizaine d’années. Par exemple, la Game-boy régulièrement évoquée par Jordan est devenue une Switch. Les liseuses ont apparu parmi les romans papier des élèves et les livres numériques à la bibliothèque. Mais… j’ai changé bien d’autres choses aussi. Des choses qui pourraient paraître des détails, mais qui me semblaient d’importance.

Avoir un regard critique sur ses écrits n’est pas seulement veiller à la cohérence, la fluidité, la grammaire, l’orthographe, la clarté… Il faut également faire attention à ne pas transmettre, aussi involontairement soit-il, des messages ou stéréotypes susceptibles de blesser la susceptibilité de certains ou d’entretenir des faiblesses classiques de l’édition, en ressassant des clichés.
Et ce n’est pas toujours facile, même avec la meilleure volonté du monde !
D’où l’importance du regard externe : celui des beta-lecteurs, de l’éditeur (quand on a la chance d’en avoir un et qu’il se soucie de cet aspect des choses) ou même son propre regard, quand il a pris du recul au fil des ans (le coup du tiroir, vous vous rappelez ?).

Voici quelques exemples :

Le choix des prénoms des élèves, qui devaient indiquer l’hétérogénéité de la population française, sans en faire trop. Je souhaitais qu’ils reflètent autant que possible la population française de la tranche d’âge à laquelle les personnages appartenaient.

Le racisme ordinaire : j’ai eu quelques états d’âme à propos d’André, un personnage secondaire que j’aime beaucoup. Je n’ai pas réfléchi en le faisant vivre dans les pages du roman, mais justement, n’avais-je pas, tout à fait involontairement et innocemment, contribué à perpétuer un stéréotype ? Dans le doute, n’ayant personne à qui demander, personne qui serait réellement concerné, j’ai modifié plusieurs détails dans l’histoire, afin de remettre les choses en perspective, en espérant que le résultat serait satisfaisant.

Le validisme : Pour rappel, en voici une définition : Discrimination à l’encontre des personnes atteintes d’un handicap, que celui-ci soit moteur ou mental. Le validisme repose sur l’idée qu’une personne valide représente la norme sociale et qu’une personne qui ne l’est pas est donc inférieure.
Bon, rassurez-vous, j’ose espérer ne pas m’en rendre coupable de manière grossière ! Mais j’ai tout de même changé le nom de Melle Manchotte en Mme Petitbras (pour rester dans le même thème ^-^). Bien sûr, les chances qu’une personne n’ayant qu’un seul bras, d’accident ou de naissance, lise ce livre est infime. Mais est-ce une raison pour choisir un nom qui lui serait offensant ? Non, certainement pas.

Et peut-être avez-vous remarqué que le mademoiselle était devenu madame ?
Ce n’est pas un hasard. Je suis résolument contre cette appellation, aussi charmant que cela puisse paraître. De quel droit classifierons-nous les femmes selon leur statut de mariage/virginité ? On n’a jamais appelé les jeunes garçons et les célibataires « Damoiseau machin chose », il me semble !
Vous trouverez parfois des « mademoiselle » dans le livre ; dans la bouche de certains personnages, en mode humoristique, ou simplement parce que le professeur n’a pas encore fait cette démarche de s’interroger sur le bienfondé de certains manies de la langue française… mais pas dans le texte même.

J’ai pu aussi changer certains noms pour plus de clarté.
Par exemple, lors de la deuxième réécriture du livre Stéphane, mon alpha lecteur, m’avait dit qu’en tant que dyslexique les prénoms Marion et Manon étaient trop semblables et gênants pour la lecture. J’avais changé Manon pour Chloé.

Les dialogues : Je n’ai jamais été adepte du langage parlé dans les dialogues ; je préfère faire adopter un registre supérieur à mes personnages. D’abord pour des raisons de lisibilité (« s’t’veux, à t’a’l’heure » étant plutôt indigeste à lire) mais aussi en accord avec une grande partie de la littérature, qui accorde naturellement un registre plus soutenu dans l’expression orale des personnages.
Demeurait toutefois le problème des expressions et des références. Née dans les années soixante, mon mode d’expression n’est pas celui de quelqu’un né dans les années 90 ou 2000 ! Bon, il est vrai que les élèves de Vauvert, restés pour la plupart d’entre eux dans la seule compagnie de leurs parents, cloîtrés à la maison, peuvent avoir un style d’expression un peu vintage. Mais tout de même, entre internet et la compagnie d’éventuels frères et sœurs, la différence est forcément notable !
Pour cette vérification, j’ai mis à contribution mes enfants, même si ils commencent à être un poil trop vieux par rapport aux étudiants de Vauvert ^-^. Je n’ai pas cessé de les embêter : « comment on dit ça en argot de nos jours ? », « ça se dit encore, ça ? », « cette phrase, là, vous comprenez l’allusion ? ». Parfois c’était compliqué, tout le monde n’était pas toujours d’accord, ou alors aucun équivalent ne semblait exister ! Mais j’ai fini par arriver à un résultat satisfaisant.

Par ailleurs, je n’aime pas les gros mots ; jusqu’ici, un seul avait trouvé son chemin dans un de ma douzaine d’écrits ! 😀 (cherchez chers lecteurs, cherchez -_-). Mais pour cette nouvelle version de Vauvert, dans une scène en particulier, j’ai décidé de transiger ; après discussion, étant donné le caractère du personnage et les circonstances, cela semblait inévitable pour être bien dans le ton. Vous comprendrez en lisant le livre ! Je délivre toutes mes excuses à l’avance à ceux qui, comme moi, ne sont pas fans des gros mots, les réservant pour des moments intenses, de petits doigts de pieds cognés contre la table basse, où ils ont alors leur moment de gloire…

Parfois aussi, j’ai repris une description pour mieux l’accorder à l’illustration qu’Amandine m’avait faite, suivant… ma première description !

J’ai revu plein d’autres choses en reprenant une nouvelle fois ce texte, des choses si discrètes que vous ne les remarquerez sans doute pas. Certains éléments banalisant l’exploitation des animaux par l’homme par exemple, ou un sexisme ordinaire. Des détails peut-être, mais ce genre de détails qui, renforçant notre inconscient, nous incitent à perpétuer des modèles repréhensibles sans même en être conscients ! Tout ça pour pouvoir me déclarer satisfaite de cette nouvelle mouture, et vous proposer le roman dans cette toute nouvelle édition 🙂

Voilà, j’espère que cette petite rétrospective écriture de Vauvert vous aura plu ! Pour en savoir plus sur l’histoire, c’est par ici, et pour l’acquérir, c’est par là 🙂

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