Les Belles – Dhonielle clayton

20180210_103341_HDR-1

J’ai été happée par cette couverture au premier coup d’œil (la couverture de la version française est quasiment identique – voir plus bas) : une héroïne à la peau marron et aux cheveux noirs et frisés qui n’a pas souffert – ô miracle – du blanchissement illustration de couverture (comme d’autres, suivez mon regard vers « Winter », grrr).

Le pitch du roman a achevée de me séduire et j’ai lu ce livre en deux jours, avec délectation.

Le début m’a paru sympathique, mais je m’attendais encore à un récit assez convenu : des jeunes filles très belles, élevées dans un cocon, enfin lâchées dans le monde, éblouies et prêtes à tout pour être la meilleure, la plus adulée et admirée – la Favorite. L’arrivée très précoce (si précoce que je me permet d’en parler) d’un jeune homme séduisant, taquin et charmeur, puis d’un autre jeune homme morose, sérieux et concentré sur son devoir, m’a fait craindre une histoire classiquement assortie d’une triangle amoureux. Mais si ces artifices sont bien classiques, le traitement reste très rigoureux, crédible, et les personnalités soigneusement nuancées. Prouvant ainsi que les stéréotypes peuvent très bien être incorporés à une histoire si l’auteur(e) prend soin d’y apporter sa patte et garde le sens de la mesure et de l’adéquation au monde inventé.

Le début est charmant, tout en couleur et festivités extravagantes. Les jeunes Belles sont touchantes, non pas soeurs ennemies mais affectueuses et aimantes malgré leur sens aigu de la compétition. D’une manière amusante cette mise en scène des jeunes filles, ainsi que les rôles secondaires, m’ont souvent fait penser aux films Barbie que j’ai adorés regarder avec mes enfants.

L’ambiance s’assombrit toutefois rapidement : nous sommes dans une  dystopie, dans un monde étrange et fascinant (le futur ? un ailleurs ?), dans une ambiance SF mâtinée de fantasy et de fantaisie. Ce monde brisé et reconstruit de travers, cette société de castes et de Cour, cette imagination débridée, ce sens des petits détails, ces descriptions très visuelles m’ont beaucoup fait penser à La Passe-Miroir de Christelle Dabos 🙂

Les histoires sont cependant très différentes. Dans ce roman nous découvrons peu à peu un monde souffreteux, où les gens sont devenus « gris ». Suite à une catastrophe expliquée par une légende (mais que l’on devine d’origine humaine), les humains ont une peau grise semblable à celle d’un éléphant, des cheveux gris sale, des yeux rouges. Tous, sauf les riches, capables de se payer des soins de beauté et surtout les services mensuels d’une des Belles – ces architectes du corps humain.

J’ai eu un peu de mal à appréhender cette technique, un mélange de pigments divers (les Belles ont leur chariot de beauté suréquipé) et de magie – ou plutôt de talent « Arcane ». En pratique c’est un relooking façon Photoshop mais en live, donc très douloureux pour le patient et épuisant pour les artistes que sont les Belles (je vous laisse découvrir les sévères conditions pratiques de leur art). Mais un remodelage aussi complet qu’on le souhaite, qu’on soit prêt à subir… et à payer. Puis à repayer un mois plus tard, quand les effets du traitement de beauté commencent à s’estomper.

Une bonne dystopie est un monde horrible et injuste mais dans lequel il y a d’excellentes idées, moralement justes (comme dans « Le Passeur » de Loïs Lowry, un classique que je vous recommande chaudement). Dans ce roman la notion de racisme, à défaut d’injustice (là elle est criante, mais ailleurs) a complètement disparu. Et pour cause, les nantis changeant de couleur de peau, de cheveux, d’yeux à volonté. Sauf les Belles, ces rares filles à être nées « colorées », avec un physique immuable, ce qui fait d’elles des beautés parfaites et non pas, comme on le comprend peu à peu, parce que leur physique idéal. En effet dans ce monde futile des nobles et des puissants, la mode des corps ne cessent de changer, on choisit d’être tour à tour grand ou petit, maigre ou gros, noir de peau ou bien blanc – tout se vaut. La beauté idéale n’existe plus.

Bien sûr le problème n’a fait que se déplacer : comment être la plus belle, le plus beau, alors que les canons de la beauté ne cessent de changer ?

Notre héroïne, et les autres Belles, évoluent dans un monde de Cour qui évoque celle des puissants d’autrefois. Un monde superficiel, cruel, où les complots et manipulations abondent. Les pauvres jeunes filles ne s’attendent pas à être jetées ainsi dans la fosse aux lions. Elles sont naïves par évidence, ayant été élevées à l’écart de tout, manipulées depuis la naissance à rêver un avenir d’esclave adulée et soumise aux désirs des puissants.

Ces thèmes évoquent bien des classiques, en particulier la série Pretties de Scott Westerfield. Mais s’ils sont très bien traités ils le sont subtilement, sans lourdeur moralisatrice.

L’écriture est très fleurie, très visuelle, avec beaucoup d’images et de comparaisons de formes et de couleurs. C’est ainsi que pense la narratrice, une artiste passionnée, une jeune fille vouée à son art. L’auteure a imaginé de nombreux détails très imaginatifs, autour de la nourriture raffiné, des soins de beauté, mais aussi les ballons courriers, les animaux « tea-cups », etc.

Un des points forts du roman est la finesse psychologique des personnages. S’ils sont romancés pour l’attrait de la lecture, ils sont également parfaitement à leur place, leurs pensées et réactions sont toujours crédibles, plausibles. Par exemple les Belles ne peuvent pas connaître l’amour, pour des raisons réelles (ou du moins sensément réelles) et, même troublée, Camélia ne songe jamais à outrepasser la règle, son rôle de Belle reste tout son avenir, sa passion, la définition de son être.

Autre point fort et pas des moindres : le lecteur découvre le monde à travers les yeux de l’héroïne ; à travers ses souvenirs aussi. Il est ainsi passionnant et envoûtant de comprendre et deviner la réalité par petites touches successives, corrigées au fur et à mesure que la vérité se dessille aux yeux de Camélia. Ce déroulé, lent mais bien rythmé, est fascinant.

Enfin l’ensemble est bien construit : le roman apport son lots de surprises et de révélations, se finit sur un point d’orgue et s’ouvre parfaitement pour une suite, qui s’annonce tout aussi passionnante, l’auteure n’ayant manifestement pas épuisé les ressources de son monde imaginaire.

En conclusion un roman qui sait être passionnant, très personnel, tout en traitant des sujets d’actualité – mais d’actualité de tous les âges, sans aucun élan moralisateur.  S’il est aisé pour le lecteur de songer aux échos de cette lecture dans notre monde actuel, il serait tout autant possible de le rapporter aux excès des civilisations passées, des époques révolues.

Une superbe lecture que je recommande à tous ceux qui ne sont pas effrayés par la lenteur subtile et les descriptions efficaces. Quel adaptation cinématographique cela pourrait faire !

les belles

Aux Editions CollectionR pour la version française, parution le 22 février 2018

486 pages – 17,90 € pour le format papier et 12,99 € pour le format numérique

 

2 réflexions sur “Les Belles – Dhonielle clayton

    1. helenelouisechimere

      Je pense que tu pourrais beaucoup aimer ! En tout cas tu ne serais certainement pas freinée par la narration 🙂
      Maintenant ca me donne envie d’avoir ton avis ^-^

      J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s