J’ai abordé ma lecture de ce quatrième et dernier tome de La Passe-Miroir très sereine : j’avais adoré tous les tomes précédents, lus chacun deux fois, et j’étais certaine d’apprécier celui-ci.
Pour être plus précise, j’étais certaine de l’apprécier, mais aussi presque certaine de l’apprécier moins. De toute évidence ce tome, destiné à clôturer la série, allait se concentrer sur le mystère des Arches, sur la déchirure, Dieu, l’Autre – tous ces aspects qui m’intéressaient juste un peu.
D’une certaine manière j’avais été très surprise de tant aimer la série quand j’ai lu, dès sa sortie, Les Fiancés de l’Hiver. Le thème du monde n’avait rien pour me charmer, cette histoire nébuleuse de monde éclaté en Arches flottantes, cette teinte clairement onirique, voilà qui ne séduisait guère mon esprit cartésien ! (d’ailleurs j’ai récemment appris que cette vision du monde, indéniablement originale, avait été inspiré à l’autrice par un rêve fait enfant, où la lune qui se brisait en mille morceaux). Mais l’histoire s’était avérée prenante, bien écrite, bien construite, avec des personnages attachants, très réalistes dans leur tonalité en demi-teintes ou délicieusement théâtraux.
Bref, je m’attendais à avoir un peu de mal avec le développement de la trame principale, mais je demeurais convaincue de pouvoir aisément me couler dans ce dernier livre. Hélas… j’ai vite déchanté.
Avant d’aller plus loin sachez que si je ne vais pas vous divulgâcher de l’intrigue ni la fin, j’aborderai toutefois quelques détails établis dès le début du livre et ferai quelques comparaisons, vagues mais éventuellement évocatrices. Si vous n’avez pas encore lu le livre et envisagez de le faire en toute innocence, ne lisez pas plus loin et revenez me voir ensuite ! 🙂
Pour commencer je vais parler de ce que j’ai aimé. Hélas, la liste est assez brève.
J’ai beaucoup aimé la relation entre Ophélie et Thorn. Dans un roman qui développe une romance sans être une romance, il est extrêmement difficile de garder le cap après le dénouement amoureux. Se retrouver dans l’intimité d’un nouveau couple est facilement délicat – mièvre ou gênant. J’ai lu des avis qui trouvaient cette relation gnan-gnan ou à l’inverse trop pudique, la preuve que c’est une affaire de perception, je l’ai trouvé parfaite. Très touchante et réaliste, tout à fait accordée aux caractères des personnages.
J’ai aimé aussi cette présentation des corps gauches et mal adaptés, à travers la maladresse d’Ophélie, qui évoque si bien la dyspraxie, et celle de Thorn, qui rend honneur à tous ceux qui souffrent mais serrent les dents et continuent quand même. Par ailleurs, quelques chapitres du point de vue de Thorn complètent très bien ce tableau d’un esprit exceptionnellement brillant, marqué au fer rouge par une sensibilité extrême et sans cesse réprimée, un esprit fiévreusement épuisé par une mémoire infaillible et envahissante.
L’histoire, hélas, n’a pas été à la hauteur, ni de mes attentes, pourtant discrètes, ni des personnages si brillamment créés par l’autrice.
Le début (sacrilège !) m’a ennuyée. Je venais de relire La Mémoire de Babel, j’avais l’impression de piétiner. Comme beaucoup je m’attendais, peut-être naïvement, à découvrir une nouvelle Arche aux côtés d’Ophélie. Rester à Babel, faire un tour d’horizon des mêmes personnages sans aucune avancée psychologique, ne m’a pas charmée. Ensuite, le choix, encore et toujours, d’établir l’intrigue selon le même cadre, d’un livre à l’autre, m’a agacée. J’avais trouvé ça un poil « facile » dans le tome 3, là j’ai soupiré. Ophélie qui se place volontairement dans une situation délicate sous couvert de l’anonymat, une situation où elle va être maltraitée, humiliée et s’épuiser, tout ça dans le but de rassembler des informations, alors que Thorn, pourtant si proche, reste intouchable, est un artifice qui fait long feu.
Bien sûr la lecture reste agréable, l’autrice écrit toujours aussi bien (malgré quelques tics d’écriture auquel je n’ai cessé d’être plus sensible au fil des pages). Cet art et son imagination, toujours aussi vive et flamboyante, permettent de voguer d’une page à l’autre sans souffrance.
Certains passages, trop courts à mon goût, étaient intéressants. Mais à chaque fois mon attention retombait ; sans me forcer à lire, je n’ai jamais été happée par l’histoire, ni ai jamais éprouvé de difficultés à reposer le livre.
Ophélie cherche des réponses, et mon dieu que c’est poussif ! C’est flou, mystérieux, plein de non-dits, de passages étranges censément évocateurs, l’héroïne comprend des choses alors qu’on patauge en plein marasme. Les explications sont agitées au-dessus de nos têtes sans qu’on n’y comprenne rien. Enfin si on comprend à la toute fin, mais que c’était long et brumeux !
Les mystères dans mes lectures, j’adore. Il y a les mystères comme ceux des Agatha Christie, où indices et fausses-pistes nous font chercher la solution dans la bonne humeur. Il y a les mystères qu’on découvre en poussant de « Ohhhh » fascinés parce qu’on ne les savait même pas là (Remus Lupin, HP 3 *-*). Et puis il y a les mystères qui se bâtissent tout le long d’une série et ceux-là sont bien délicats à manier. Trop longtemps agités devant notre nez ils deviennent agaçants, on s’en désintéresse ; leur révélation vient trop tard, surtout si elle s’accompagne d’un salmigondis d’explications fumeuses. Bon, ce n’est pas aussi dramatique dans ce tome, mais une très grande partie de la narration de celui-ci courtise les mystères de la Déchirure, de Dieu, de l’Autre, des Echos, etc., et ce très long développement à rallonge et à tiroirs ne m’a pas séduite. Pour quelqu’un qui n’apprécie par l’onirisme, trop de l’histoire se passe dans le flou, dans l’ombre, les mirages, les rêves éveillés, une réalité cauchemardesque, c’est lassant.
D’un point de vue structurel, j’ai trouvé ce dernier tome assez mal bâti (l’autrice a-t-elle été bien accompagnée ? je me suis souvent posé la question). Beaucoup d’interludes, dont certains complètement abscons (soit, ils le seraient moins à la relecture ; mais je demeure convaincue que si un livre peut être délicieux à relire du point de vue des mystères, en cueillant alors les indices laissés par l’auteur, il ne devrait pas être frustrant à la première lecture), et d’autres inaboutis. Les chapitres ou interludes concernant d’autres personnages sont sous-développés, ou peut-être simplement mal placés dans le roman, trop tôt, bref, j’ai eu une impression de mise en suspens inutile pendant toute ma lecture.
L’intrigue générale, celle qu’on découvre, est assez intéressante et originale c’est vrai, mais (ok je m’y attendais) très peu scientifique (oui oui je sais ce n’est pas de la hard SF :D) et donc brouilli-brouilla pour moi. D’une certaine manière ça m’a beaucoup rappelée celle de La Croisée des Mondes de Philip Pullman, une série que j’ai beaucoup aimé mais pas adoré. Une appréciation toute subjective, donc.
Enfin j’ai détesté la fin. Je l’ai trouvée malhabile, à la fois dans sa forme et à la fois dans les circonstances de parution de ce livre. Il est bien naturel pour un auteur d’écrire l’histoire qu’il a imaginée jusqu’à la fin, mais… il ne devrait jamais rester sourd et aveugle aux attentes qu’il a consciemment ou non, créées au fil de sa série. Parce que lorsque je prétendais au début de cet article n’avoir aucune attente en abordant ce livre, je parlais d’attentes précises. Je nourrissais celle, vague, imprécise, mais intense, de retrouver dans le dénouement de cette histoire tout ce qui m’avait séduit d’un roman à l’autre. J’avais foi de refermer la dernière page avec un sentiment d’apaisement, d’épanouissement, une impression positive, sereine.
J’ai détesté cette fin, à la fois agaçante pour l’un de ses choix (les dernières lignes, comme je déteste cette facilité scénaristique !) et pour tous les autres, aussi légitimes qu’ils puissent paraître du point de vue de l’auteur qui raconte, bien sûr, son histoire. J’ai lu le mot de l’autrice (si digne et si touchant !) qui explique pourquoi elle allait prendre de la distance après avoir pris connaissance des premiers avis déçus, dont certains très agressifs. Elle exprime très bien sa stupeur à constater combien le ressenti de ces lecteurs est si différent de ce qu’elle avait souhaité verser dans ce dernier livre. Moi je m’étonne qu’elle puisse être aussi surprise ; comment ne pas s’attendre à un séisme en écrivant une telle fin ? L’entourage, au moins, aurait dû la préparer et la protéger, non ?
Le seul point positif est que loin d’être nostalgique à l’idée de quitter l’ambiance de la série et ses personnages, je me trouve au contraire soulagée par la rédaction de cette cathartique chronique qui me permet de tourner la page, et de revenir en hâte vers d’autres lectures et écrits, plus positifs et réconfortants…
Paru chez Gallimard Jeunesse le 28 novembre 2019
564 pages – 19,90 €
Beaucoup aimé votre article et globalement du même avis que vous. Un seul truc m’agace (rien de personnel à cela, vous n’êtes pas la seule), c’est le terme « autrice ». Je trouve ça très laid, mais ce n’est que mon avis personnel. L’auteure me semble plus doux, sans doute moins grammaticalement logique (bien qu’il s’agisse d’un néologisme). Je ne sais pas, phonétiquement et même visuellement, je le trouve péjoratif. Ma perception, donc rien de grave. Comme je n’avais rien à critiquer, fallait bien que je trouve quelque chose.
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Merci pour le compliment et le petit mot 🙂
Pour « autrice » je suis parfaitement d’accord, ce mot est très moche 😄 (je pense toujours à autruche 😋) mais je me force à l’utiliser aux dépens d’auteure parce que le féminin s’entend à l’oreille. C’est une forme qui était d’usage jadis puis a été activement abandonné – écrire n’était pas, ne devait pas être, du domaine des femmes… Encore aujourd’hui il est moins facile d’être publiée et lue si vous êtes une femme (beaucoup d’autrices choisissent d’utiliser des initiales plutôt que leur prénom, c’est triste et même révoltant). Et il suffit de jeter un œil aux programmes scolaires littéraires pour constater à quel point les hommes sont encore privilégiés.
Il y a un travail de fond colossal à accomplir et il se fera en particulier par le langage, tellement important pour former les esprits. Quand on pense qu’il n’existe pas de féminin à successeur ! Et je ne parle pas du féminin d’entraîneur…
Bref oui ce mot est vilain, mais je me forcerai à l’utiliser jusqu’à ce que mon oreille s’y habitue ! Après tout s’il n’avait jamais cessé d’être en usage tout le monde l’utiliserait sans se poser de question…
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